Béatrice Diarra : Surtout pas de vagues !

Professeure de français et de français langue étrangère (FLE) depuis presque trente ans et depuis quinze ans dans un collège implanté en zone dite “sensible” à Clermont-Ferrand, Béatrice Diarra se sert de son vécu comme matériau de base pour un premier roman qui va faire date, Pas de vagues, comment toucher la zone sensible ? 

L’idée du roman est apparue à Béatrice Diarra après les attentats du 13 novembre 2015 (Bataclan, rues de Paris, Stade de France). « J’ai commencé à l’écrire juste après. Ce qui m’a réellement motivé, c’est une phrase lue dans la presse, “Les attentats de Charlie, les ratés de l’école”. Ils ramenaient ça à un seul élément, alors que les éléments sont multifactoriels. C’était un raccourci, mais ça posait une question que je me posais déjà moi-même depuis longtemps : qu’est-ce qu’on peut faire pour que les enfants se forgent leur propre opinion et ne se laissent pas manipuler ? Comment faire pour leur permettre de construire leur propre personnalité en évitant la propagande ? L’école n’est pas responsable des attentats, par contre, elle devrait faire plus pour mettre en garde les gamins contre l’intégrisme musulman et contre tous les intégrismes en général. L’école de donne pas aux élèves la possibilité de réfléchir, notamment ces dernières années. Avant, on utilisait souvent l’expression “développer l’esprit critique”. On ne l’entend absolument plus. L’école aujourd’hui est là pour former des travailleurs et les programmer pour rester dans leur milieu social. L’école était un ascenseur social avant, c’est terminé. Ça m’énerve. On pourrait développer la partie créative de l’enfant. Quand je fais de la poésie, j’ai toujours des élèves qui produisent des trucs incroyables. Quand je fais du théâtre, pareil, j’ai toujours deux ou trois enfants qui sont de vrais comédiens même s’ils n’en ont pas notion. Quand on amène les élèves à ça, ils se révèlent. Si on travaillait de cette manière, on aurait moins d’enfants qui se tourneraient vers l’intégrisme religieux ou l’extrémisme. Entendons-nous bien, ça n’enlèverait pas le problème du terrorisme pour autant. Mais il y aurait moins de gamins attirés par ça. » 

D’un attentat à l’autre

Le roman se déroule entre les deux vagues d’attentats. La première datant de janvier 2015 (Charlie Hebdo, la policière municipale à Montrouge et la supérette porte de Vincennes). « Charlie Hebdo m’avait secouée, mais le Bataclan m’a complètement bouleversée. D’autant que tout était diffusé en direct à la télé et on ne pouvait rien faire. Après l’attentat de Charlie, je me suis souvenue approximativement de ce qui s’est passé en classe. » Mais pour écrire le roman, l’autrice ne s’est pas contentée de collecter les réactions de ses élèves. « J’ai pris des élèves et des phrases qui allaient dans le sens du livre et qui m’avaient marquée au fil des années. Pour composer les personnages de la hiérarchie, j’ai fait un mix de trois principaux et quatre adjoints avec lesquels j’ai travaillé. Ils sont tellement ridicules qu’ils en sont drôles. Toutes les phrases prononcées par le principal, je ne les ai pas inventées, je les ai entendues. » C’est une des particularités du roman, malgré le thème abordé, Béatrice Diarra ne manque pas d’humour, autant avec la hiérarchie qu’avec les élèves qu’elle traite avec tendresse, hormis les fortes têtes qu’elle remet en place énergiquement. Elle appelle ses élèves et ses collègues par leur prénom alors que la hiérarchie porte des surnoms, MC et Reine Margot. Il y a bien une Madame Rêve, sûrement un clin d’œil à Alain Bashung de la part de l’autrice, mélomane avertie qu’on a connue chanteuse il y a bien longtemps. Parmi les élèves, on retrouve beaucoup d’enfants issus de l’immigration et même des mineurs isolés. Ce qui donne parfois des scènes poignantes comme celle où la jeune Esterina déclare : “tous les soirs on attend que la police vienne nous chercher, on a peur. Je veux pas partir, je veux pas, je veux pas, je veux pas.”

« L’administration nous vole les mots. »

Les différents langages

Quand une maman dit à l’enseignante à propos de sa fille : “Elle va progresser en grammaire, je lui ai acheté le Bled et le Béchamel”, ça ne sort pas de l’imagination de l’autrice non plus, elle l’a entendue de ses propres oreilles. Et des sourires comme celui-là, le livre en est truffé. Façon pour Béatrice Diarra d’apporter des respirations à un roman qui pourrait vite être plombant si son habilité à manier le mot ne donnait pas corps à un texte extraordinairement dense et riche. « Le langage m’intéresse. Il y a le langage des gamins qui peut être très vulgaire, très grossier, mais c’est le même qu’utilisent les gamins des classes privilégiées qui pillent le langage des banlieues. Il y a également le langage administratif qui est insupportable. C’est celui de l’entreprise, pas celui de l’école. Notre mission est de former des futurs travailleurs. Nous-mêmes, les profs, on arrive à parler comme ça. Un très joli mot comme “bienveillance”, je ne l’utilise plus. L’administration nous vole les mots. On trouve d’autres langages dans le livre, un langage poétique, littéraire, les jargons, mais pour moi, le langage le plus grossier, c’est celui de la Reine Margot qui n’arrête pas de dire des vulgarités en usant de métaphores. » Parmi ses élèves, certains ont un don évident pour l’écriture. Le vocabulaire employé par des collégiens de 4e ou 3e peut paraître surprenant. « Il y a un gamin que j’ai eu en 3e qui a une écriture extraordinaire. J’ai repris deux de ses textes presque intégralement dans le livre en lui demandant l’autorisation. J’ai eu des filles également comme ça, ce sont de vrais talents. » La professeure dans le roman a une obsession, éduquer ses élèves par le mot, le verbe et la littérature. Pas de vagues est incontestablement un des romans les plus intelligents de ces derniers mois.

Il en est de la bonne littérature comme de la bonne cuisine, il y a les bonnes tables et les étoilées, Béatrice Diarra prétend aux trois étoiles et à un chapelet de prix littéraires.

Pas de vagues, L’Harmattan, 338 p., 28 €

Extrait :

«   –  Pour en revenir à la radicalisation qui ne touche qu’une toute petite minorité, n’est-elle pas liée à l’adolescence elle-même ? L’adolescence est souvent radicale. En quête d’un clan, d’une reconnaissance. J’ai l’impression que les filles converties qui mettent le voile intégral auraient aussi bien pu être punkettes dans les années 80. Si tu veux vraiment couper les ponts avec tes parents, quoi de mieux que de mettre le niqab pour les enquiquiner ?

  • Je ne suis pas d’accord. Les mouvements de révolte de la jeunesse étaient liés à une aspiration de liberté, là, c’est vers l’enfermement qu’ils courent.
  • C’est vrai. On est passé de faites l’amour pas la guerre à faites la guerre pas l’amour. »

Extrait :

« Pour l’heure, la France d’en haut compte sur la base pour remplir une coquille vide. Les grouillots que nous sommes gambergent pour faire quelques propositions qui remonteront vers le ministère où elles seront triées avant de nous redescendre sous formes de diktats que nous ne pourrons dénigrer puisque nous les avons nous-mêmes conçus. Autrement dit, on nous demande de creuser notre propre tombe. »

Extrait :

« L’enfance n’est pas une maladie »

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