Après un remarquable et très remarqué premier album enregistré dans le nord du Mississippi avec des musiciens du cru, l’atypique trio auvergnat est de retour sur ses terres pour un deuxième opus embouteillé dans les environs du lac de Guéry, Homecoming. La chanteuse guitariste, Tia Gouttebel est venue en parler à Scarlette.
Ils avaient épaté tout le monde avec leur formule originale, guitare – batterie – vielle à roue, pour mettre au point un blues de façon totalement inédite tout en respectant scrupuleusement les codes du genre. La virtuosité des trois musiciens et la voix extraordinaire de Tia Gouttebel confèrent au trio une signature artistique qui abolit les frontières musicales, culturelles et géographiques. À l’écoute, on imagine fort bien Muddy Gurdy débarquant autant du sud des USA que d’une ferme perchée dans le Cézallier. Les Américains à qui on ne la fait pas, furent d’ailleurs bluffés par la vielle à roue qu’ils découvraient entre les mains de Gilles Chabenat. Cet étrange instrument qui sonne parfois comme un harmonica ou un dobro. Tout ça sous la direction artistique du batteur, Marc Glomeau. Pour ce deuxième album sur ses terres, Muddy Gurdy récidive, mais cette fois, avec des musiciens auvergnats et le résultat est une fois de plus bluffant.
Ruralité et culture locale
Le deuxième chapitre de l’aventure Muddy Gurdy se joue donc en Auvergne. De prime abord, ce qui pourrait sembler être un choc des cultures coule de source d’un point de vue artistique et ethnologique à en croire Tia Gouttebel : « Faire le deuxième disque ici, en Auvergne, s’avérait logique. On a procédé exactement de la même façon qu’aux Etats-Unis. On n’a pas enregistré en studio là-bas, mais dans des lieux qui sont liés à la ruralité et à la culture locale. On s’est dit qu’on ferait la même chose ici, dans nos montagnes. » Là encore, Muddy Gurdy s’entoure de musiciens autochtones issus des musiques traditionnelles locales, donc auvergnates en l’occurrence. « Ils se sont greffés sur notre blues. On leur a demandé d’intégrer les morceaux que nous avions sélectionnés », sachant que le répertoire de Muddy Gurdy est assez particulier.
Musique engagée
En plus de ses compos personnelles, le groupe réarrange des standards du blues américain pour une interprétation tout à fait personnelle. « L’idée est de se les approprier avec la différence apportée par la vielle à roue, pour éviter l’imitation qui pour moi n’a aucun sens dans ce genre de musique. J’ai adapté les arrangements à notre trio. Il y a une approche personnelle. D’où l’intérêt de prendre des morceaux qui sont forts, des morceaux qui ont du sens. » Cela faisait déjà un moment que Muddy Gurdy jouait des titres comme “Chain Gang” de Sam Cooke ou la sensationnelle “Strange Fruit” de Billie Holiday avant de les enregistrer pour Homecoming. « Depuis longtemps déjà, je chante des morceaux comme “Down In Mississippi” de JB Lenoir qui abordent les thèmes de la ségrégation tout en évitant de parler à la première personne. Je n’ai jamais subi ça. C’est Marco qui m’a incité à chanter “Strange Fruit”. Ça m’a été assez difficile émotionnellement parlant parce que les images qu’elle véhicule sont difficilement supportables. Je suis d’autant plus contente d’avoir réussi à le faire parce que, pour moi, le message est toujours d’actualité. Je ne dis pas qu’il y a encore des gens qui se font lyncher aujourd’hui, mais ce qu’il se passe aux Etats-Unis n’en est pas loin. Le racisme est toujours latent là-bas alors que la ségrégation est abolie depuis longtemps. C’est même presque plus vicieux aujourd’hui. »
De l’importance des textes
Si Tia revisite des chansons comme “Strange Fruit” pour aborder des thèmes qui lui sont chers, elle s’investit aussi personnellement avec des titres comme “MG’s Boogie” qui a tout de l’hymne féministe parfait pour accompagner les mouvements invitant à libérer la parole des femmes. Le court texte interpelle d’abord les hommes violents envers les femmes avant de s’adresser aux femmes elles-mêmes : « Pourquoi nous traitez-vous si mal ? Nous les femmes, les sœurs, les mères. Femmes, il est temps de parler, venez les frangines, il est temps que ça change. Parlons de ce qui ne va pas dans ce monde, l’oppression, les abus sur les femmes, il est temps que ça change. » Pour composer ce morceau dans l’esprit des grands standards des chanteuses de blues afro-américaines, Tia est partie d’un titre du bluesman R.L. Burnside en adaptant le texte. « C’est ce que je fais parfois en reprenant des chansons composées par des hommes pour me réapproprier le texte. J’avais envie de faire un morceau sur ce qui se passe en ce moment. Je suis assez bluffée par le courage de toutes ces femmes qui parlent, qui disent les choses. C’est un élan qui est porteur d’espoir pour les générations à venir. Je voulais faire quelque chose de simple et direct. » La parole de Muddy Gurdy est essentiellement féminine quand bien même, Tia est la seule femme du groupe. « Je tiens bien évidemment compte des deux hommes avec qui je joue, mais vu que c’est moi qui interprète, j’apporte une attention toute particulière aux textes. Ce qui est parfois négligé chez certains bluesmen européens. Ils prennent des couplets qui sont prétexte à des solos de guitare alors que moi, c’est exactement l’inverse. Ce qui m’intéresse dans cette musique, c’est ce que ça raconte. Les thèmes abordés. La manière dont c’est exprimé. Les jeux de mots. Comme je suis une femme, forcément, le thème de la femme revient régulièrement. »
100 % blues made in Auvergne
Pour enregistrer Homecoming, Muddy Gurdy a posé son matériel à divers endroits disséminés dans le Cézallier. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? « Faire ça en studio aurait eu moins de sens. L’idée est aussi de se laisser imprégner par les lieux. On est proche des “field recordings”, des enregistrements sur le terrain. C’est aussi prendre en compte l’environnement. On arrive quelque part, on choisit une chanson en fonction du lieu. Parfois, j’ai écrit des textes en fonction même des lieux et ce qu’ils représentaient. Quand on marche une heure pour arriver dans une chapelle du XIIème perchée sur une montagne, il se passe quelque chose. On fait tout en une prise, il n’y a pas de “rere”. On garde tout. On préserve la spontanéité. On est fascinés par la nature, les paysages. On a dû composer avec le vent, avec le froid parce qu’il y a eu des moments où on a eu très froid. Le vent, ça a été un truc de fou. On a enregistré en extérieur avec des rafales qui me poussaient. Je devais lutter pour rester face au micro. L’ingénieur du son a parfaitement géré ces éléments. Parfois, il a réussi à supprimer le vent qui passe dans le micro, mais il a aussi gardé tout l’aspect nature autour de nous. Des fois, on entend les oiseaux ou les cloches de vaches qui étaient juste à côté. » Muddy Gurdy a donc emmailloté Homecoming dans des lieux surprenants. Le groupe et toute l’équipe logeaient dans une ferme au-dessus du lac de Guéry. « On a enregistré quelques titres dans cette ferme qui possède une immense grange magnifique. Devant la ferme aussi, sur un grand parquet. On a enregistré dans un cratère de volcan, de nuit. On a été dans un petit café dans les estives, L’Écir et l’Angélique à Brion qui faisait office de salle de bal autrefois. On a enregistré dans deux chapelles. Celle de Vassivière et celle de Roche Charles, une chapelle difficile à trouver. » Plus qu’un disque, une aventure 100 % auvergnate, un témoignage qui fera date. À toutes nos lectrices en recherche d’un son nouveau et de nouvelles sensations, nous ne saurions trop vous recommander d’écouter attentivement Muddy Gurdy au plus vite et d’accourir quand le groupe se produira à proximité, vous vous surprendrez à danser.
Site : Muddy Gurdy
Merci Patrick Foulhoux magnifique sujet
et interview.
Cher François Henry,
Je vous remercie.
N’hésitez pas à parler de cet excellent groupe auvergnat autour de vous pour le faire découvrir au plus grand nombre.