Prises en tenailles entre nos vies professionnelles et personnelles, accaparées par des obligations que nous nous créons souvent nous-mêmes, il nous est parfois difficile de voir nos ami(e)s. Un verre de temps en temps pour une « mise à jour » mutuelle sur nos vies, c’est peu, en quantité comme en qualité. Bienvenue dans la « catch-up culture », un concept que Scarlette vous aide à décrypter.
Une vie amicale qui se professionnalise
Alors, qu’est-ce que tu racontes depuis la dernière fois ? Ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas vues, il faut qu’on cale une date ! Ces phrases vous disent quelque chose ? Est-ce que vous avez remarqué que nos moments partagés entre ami(e)s sont de plus en plus planifiés, casés dans nos agendas entre « rendez-vous chez le dentiste », « cours de yoga » et « préparer le gâteau pour la fête de l’école » ?
Cette hyper-planification, cette optimisation de nos journées, de nos semaines, n’est pas pas forcément nouvelle. C’est une des contraintes de l’âge adulte : trouver des « créneaux » pour les ami(e)s dans la suite infernale métro-boulot-dodo.
Mais ce glissement de l’amitié vers un rendez-vous planifié est aussi symptomatique de notre époque hyper-connectée, où les liens « traditionnels » (échanges avec les voisins, les collègues…) se sont distendus au profit d’heures passées sur les réseaux sociaux. Des liens virtuels qui entretiennent l’illusion de savoir ce qui se passe pour nos « amis ».
C’est comme si nos amitiés s’étaient professionnalisées. On fait une mise à jour de temps en temps, devant un verre pris en vitesse ou à travers un écran. Et on se dit qu’on calera la prochaine date en faisant un Doodle.
Partage des gros titres de nos vies
Ce phénomène a été théorisé par l’autrice et coach Michelle ELMAN, qui parle de « catch-up culture », de l’anglais « catch up », qui signifie rattraper. On rattrape la vie de nos amis à travers des rendez-vous express et des stories Instagram.
Derrière nos écrans, nous pouvons savoir que nos amis ont déménagé, voir leurs photos de vacances, le dernier film qu’ils ont vu au cinéma ou admirer la photo du plat qu’ils ont dégusté dans ce merveilleux restaurant.
Mais les discussions sont moins profondes, on reste en surface. On ne partage plus que les gros titres de nos vies. Parfois, l’oeil sur la montre, on évite même de poser une question, parce qu’on sait que la réponse va etre trop longue, et qu’on va déborder. L’heure est à l’efficacité.
La façade trompeuse des réseaux sociaux
Alors posons-nous la question : sait-on encore ce qui se passe vraiment dans la vie des gens qu’on aime ? Les posts sur les réseaux sont la plupart du temps partiels, superficiels, voire trompeurs sur la réalité vécue par celles et ceux qui nous entourent. Ce n’est pas parce qu’on vit dans une société où on montre tout que ce qui est montré est réel.
La plate-forme Tik Tok regorge de témoignages sur des amitiés qui se terminent. Ce qui montre que même chez les jeunes, qui n’ont pourtant pas encore de travail, d’enfant, d’agenda surchargé, le visage de l’amitié change, et pas toujours pour le meilleur (le risque des réseaux est notamment de tomber dans la quête de validation sociale, (re)lire l’article de Scarlette sur le sujet).
Un risque de sabotage de nos amitiés
Cette « superficialisation » progressive de nos relations est un véritable piège. En s’en tenant aux informations factuelles, nous ne voyons que la façade. Or, une belle façade peut cacher un intérieur en désordre, ou même dévasté.
Faire le bilan de ce qui s’est passé récemment dans nos vies ne suffit pas à entretenir une amitié. C’est un élément, mais ça ne peut pas être le seul.
Le temps que nous passons à poster, à commenter, c’est du temps en moins à prendre soin de nos relations. Or, la meilleure façon de chouchouter nos amitiés, c’est de se créer de nouveaux souvenirs communs, en faisant des activités ensemble.
Boire un verre, c’est bien (c’est mieux que rien), mais aller faire une rando, partir en week-end, aller voir une expo ou un film, c’est mieux !
Différentes études montrent clairement qu’il est important de vivre des émotions ensemble. Les émotions sont essentielles à la création de liens forts, y compris le fait de montrer sa vulnérabilité. L’amitié, ce n’est pas seulement rigoler, c’est aussi traverser main dans la main des moments plus difficiles.
Se voir régulièrement, à la fois de manière spontanée et plus organisée, prendre le temps d’avoir des conversations profondes, se demander comment ça va vraiment, partager des activités : voilà une bonne base pour construire et consolider une amitié.
Pour se développer, pour grandir, nos relations, et notamment nos relations amicales, ont besoin du temps long, d’actions et de gestes forts. Une amitié se vit et se construit sur de petits moments mais aussi sur des activités et des souvenirs communs qui génèrent des émotions partagées. À trop vouloir investir les réseaux sociaux, à trop vouloir montrer ce que nous vivons, nous en oublions de vivre, tout simplement. Ce qui compte dans le moment que vous allez passer avec votre ami(e), ce n’est pas la photo sur Instagram, c’est bien le moment en lui-même.
FAQ : Pour aller plus loin
À Podcaster
- Les copines d’abord, qui replace l’amitié au cœur de nos conversations, de nos vies, et de nos luttes, sur la plateforme d’ARTE Radio Un podcast à soi : https://www.arteradio.com/son/les-copines-dabord
- Friendship, le podcast de Solène RIGOULET dédié à l’amitié et aux relations amicales : https://shows.acast.com/friendship
À regarder/à binger
- Desperate Housewives, les aventures cultes de Susan, Bree, Lynette et Gabrielle sont un parfait exemple d’amitié.
- Sex and the City, série incontournable, qui montre notamment pour la première fois des conversations crues entre amies autour de la sexualité, ou son pendant plus récent, la série « Girls ».
- Friends, évidemment. Certes la série date un peu, mais elle rassemble les générations et chaque épisode propose un véritable shoot de tendresse et de drôlerie, ça fait du bien !
À lire
- Bad friend : Why Friendship Breakups Hurt and How to Heal de Michelle ELMAN, sorti en mai 2025.
- Nos puissantes amitiés : des liens politiques, des lieux de résistance de la journaliste Alice RAYBAUD, paru en 2024, qui présente l’amitié comme un contre-pouvoir.
- Elles vécurent heureuses, de Johanna CINCINATIS, paru en 2024, qui pose l’amitié féminine comme alternative aux relations traditionnelles.
À écouter/à chanter
- 22, de Taylor SWIFT, l’hymne des soirées pyjama.
- I’ll be there for you, emblématique titre des Rembrandts et générique culte de la série Friends.
