Pourquoi la série « You » est elle délicieusement dérangeante?

C’est le grand retour de You depuis le 9 avril sur Netflix. La série flippante qu’on aime, l’anti-héros qu’on adore, les femmes qui l’attirent tout aussi étranges, tout ce petit monde revient hanter nos écrans. Mais alors pourquoi cette série fascine-t-elle ? Et pourquoi TOUS les anti-héros développent-ils chez nous un locked-in syndrome qui nous scotchent, meurtre après meurtre quand on n’a arrive même pas à tuer une araignée ? On vous livre nos hypothèses.

"Vérifiez derrière vous, Joe est en Angleterre"

Je veux pas jouer sur les peurs, mais le sociopathe qui a habité nos écrans pendant 3 saisons depuis 2018 se rapproche dangereusement de la douce France… Penn Badgley, alias Joe Goldberg, alias (bis) Jonathan Moore, se cache à Londres dans la saison 4. Incognito (ou pas) il veut se refaire la cerise (ou pas). Comme il en a l’habitude, Joe n’est pas l’obsessionnel compulsif lambda (sinon, en ferait-on une série?), il a une conscience. Chose déroutante quand on aimerait croire que les psychopathes ne sont pas comme nous. Et c’est quand sa petite voix intérieure lui parle qu’on commence à flipper. Elle voudrait que Joe soit ci alors qu’il est Ça. Je vous explique :

Joe est schizophréne

Entre autres. Il est aussi psychopathe, harceleur, manipulateur. Mais ce qui nous aiguille sur la schizophrénie c’est sa petite voix intérieure. Elle est tout aussi présente que le personnage de Joe. C’est grâce à elle qu’on devient accro : elle nous fait toujours espérer qu’il va l’écouter quand elle lui dit « non, ça ne m’intéresse pas ». Sauf que si nous étions dans une série comique on appellerait ça un runing gag. Là, c’est juste un leure, et on se fait avoir à chaque fois.

Mais pourquoi Joe est-il aussi méchant ?

Parce que You épouse le point de vue de Joe, a priori le parfait prince charmant (lui-même le croit), et nous ben… non. Parce qu’on va pas se mentir, on aime beaucoup trop les méchants. Et puis, côté romantisme, on a déjà Love Actualy. Plus sérieusement, les méchants nous interrogent sur nous-mêmes, sur nos propres pulsions et cette projection nous protège. Je m’explique :

« On aime beaucoup trop les méchants »

En matière de fiction, les méchants sont généralement perçus comme plus intéressants que les gentils. Cersei Lannister dans Game of Thrones, Walter White dans Breaking Bad, Ivar the Boneless dans Viking… tout ça pour dire que les méchants sont comme le sel de la Téquila frappée. Indispensable. On a même tendance à se débarrasser des gentils tellement ils sont insipides : Joker sans Batman, Maléfique sans Blanche-Neige… Même Alfred Hitchcock disait qu’au cinéma, plus le méchant est méchant, plus le film est réussi. Et dans ce registre, Joe Goldberg est un personnage super bien écrit parce qu’il y a cette petite voix, qui a plus souvent la parole que Joe lui-même. Pensées VS actions. Les actions gagnent toujours, dans les films. Joe se croit romantique, ses actions disent qu’il est égoïste. Il plie le game, jusqu’à la prochaine fois.

« Il y a peut-être une fonction cathartique »

Oui, au fil des épisodes, on veut y croire. Croire que tous ces meurtres vont agir comme un remède qui va purger le corps de Joe et le nettoyer de ses pulsions. Mais la vérité (et les scénaristes de Netflix le savent bien) c’est que ces méchants nous offrent la possibilité de transgresser « par procuration ». C’est aussi ce qui nous plait dans l’art transgressif ou le rap aux paroles crues : voir et vivre des choses à travers l’oeuvre d’un autre, qu’on ne peut pas vivre dans la réalité. Avec Joe, on expurge nos démons. Merci Joe.

« Joe Goldberg est séducteur »

« Plus facile, plus rapide, plus séduisant est le côté obscur », disait maître Yoda à Luke dans L’Empire contre-attaque. Si le bien était si tentant et le mal si repoussant, pourquoi y’aurait-il autant d’ex salopards sur terre ? Joe Goldberg est séducteur à la fois pour les femmes qui le fantasment et pour les hommes qui s’identifient à lui. Et puis, si Joe est un sociopathe, nous continuons de penser qu’il y a du bon en lui. Nous savons qu’au fond, tout ce que veut Joe, c’est aimer et être aimé en retour. Un désir profondément humain auquel on peut s’identifier.

« Et si je ressemblais à un pervers »

Si nous sommes si patients avec Joe Goldberg, c’est aussi à cause de son privilège. Penn Badgley expliquait que l’accroche de la série ne devrait pas être « Jusqu’où est-on prêt à aller par amour », mais « Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour pardonner à un homme blanc et méchant ? ». Et si en plus, il est beau et bien habillé ?
Dans le premier épisode de la saison 2, Love s’aperçoit qu’il la suit et choisit d’ignorer cette prédation. «Je suis désolé… si j’ai l’air louche», lance Joe. « Non, je veux dire que tu aurais pu, si tu ressemblais à un pervers », lui répond Love. Conscient de ce privilège, Joe l’utilise donc à son avantage. L’habit ne fait pas le moine, Love…

« Joe permet de nous interroger nous-mêmes »

Pour accrocher à une série, il faut d’une manière ou d’une autre s’identifier au personnage. Tout le monde a fait ou a été tenté un jour de faire des recherches en ligne sur quelqu’un. Lorsque Joe commence à se renseigner sur X ou Y, on peut s’identifier à lui (Que celle qui n’a jamais recherché sur Insta la nouvelle nana de son ex me jette la première pierre). Sauf que lui, il en fait un peu trop et devient un stalker. 

Soit c’est cathartique, et cela nous permet de nous défouler (dans le fond, je ne vaux pas mieux que lui), soit Joe permet de nous interroger nous-mêmes (dans le fond, je suis un peu comme lui). Et si l’on condamne son comportement, est-ce-que ça veut dire que nous valons mieux que lui ? 

Mais alors, d’où nous vient cette complaisance envers ce psychopathe fictif ? La réponse d’un philosophe : « J’y vois des reflets de notre humanité qui nous poussent à nous interroger sur notre propre tentation du mal ». Je plussoie.

Les cinq premiers épisodes le You – saison 4, sont disponibles depuis le 9 février sur Netflix. Pour les suivants, il faudra attendre le mois de mars. Quant à la cinquième saison, rien n’a encore été ­confirmé par Netflix.

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